Au risque de froisser Rome, les prélats parisiens ignorent les directives du pape François et refusent de sanctionner un prêtre, pédophile avéré, poursuivi pour attouchements
sur mineurs, PAR FRÉDÉRIC PLOQUIN
Il n'y a pas qu'en Irlande ou aux Etats-Unis que l'on recycle en silence les prêtes soupçonnés de pédophilie. La France n'est pas épargnée, même si le phénomène y est peut-être moins massif. Ou juste moins visible, tant les familles, croyantes en général, peinent à briser l'omerta et à se retourner contre « leur » chère Eglise.
La pression est telle qu'on ne donnera pas le nom de ce père de famille qui a pris un jour son courage à deux mains pour aller frapper à la porte de la brigade des mineurs, à Paris. Il était tombé sur un échange de SMS au ton particulièrement troublant entre le curé de sa paroisse et son fils, alors âgé de 14 ans. Les policiers convoquent le prêtre en juin 2011, mais sa présumée victime l'épargne en gardant le silence. L'affaire est classée sans suite. Le début d'un très long calvaire pour ce père, qui ne tournera cependant jamais le dos à la foi, ni ne claquera la porte de l'église Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle.
Blanchi, le prêtre n'en lâche pas pour autant sa proie. Il conserve un lien étroit avec ce jeune garçon, qu'il bombarde de mails et de SMS. Tandis que ses supérieurs envisagent un discret aménagement de carrière, sans jamais se demander un instant s'il ne conviendrait pas de le tenir à distance respectable des enfants. Au contraire, même, puisque l'été 2011 le voit promu gentil organisateur à l'occasion des Journées mondiales de la jeunesse, l'événement estival des catholiques. Il embraye avec un camp scout, comme si pour l'Eglise, zéro précaution valait mieux que deux. D'ailleurs, c'est le message qui prévaut : il ne s'est rien passé, circulez, paroissiens !
Le père de l'adolescent ne lâche pas. On le voit rendre une visite à Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris, qui ouvre sa porte, mais temporise, les deux pieds sur le frein. Message : « Allez en paix, mes enfants, l'Eglise vous protège. » Au niveau de la paroisse, on ne se presse pas davantage pour voler au secours de l'enfant.
On pleurnicherait plutôt pour ne pas perdre un aumônier si précieux.
Jusqu'à ce jour de février 2012 où le fils passe à table devant le père (biologique) : il évoque clairement les attouchements dont il aurait été victime de la part du prêtre Gaël C.* , 39 ans au moment des faits. La famille reprend attache avec la brigade des mineurs et le prêtre se retrouve en garde à vue. Le prêtre conteste toute agression sexuelle, mais reconnaît des corps à corps avec le jeune garçon, qui passait le voir chez lui. Il le « touchai[t] souvent au niveau du torse », parfois sa main glissait sous les vêtements. Le garçon le repoussait, « mais comme il revenait, poursuit le suspect, je n'avais pas conscience que c'était traumatisant ». Et de reconnaître un attrait particulier, quasi obsessionnel, pour ce jeune: « Progressivement, ça m'a complètement mangé, mais je n'étais plus moi-même. »
Lors de la confrontation, le prêtre reconnaît de nouveau des caresses. «Au départ, dit- il, ce n'était pas sexuel, mais c’est vrai que ça l’est devenu [...]. Cela dit je ne pensais pas que ça pouvait être catégorisé comme atteinte à un mineur du point de vue sexuel. Pour moi, ça devait toucher le sexe, pas le torse. Sinon, si j'avais su, je me serais refréné davantage. »
L’examen psychiatrique lui fournit l'occasion de reconnaître les mécanismes d'emprise qu'il a mis en œuvre pour mieux contrôler sa victime, dont il conserve dans son ordinateur 283 photos. «Etes-vous attiré par les enfants ou les adolescents, plutôt que par les adultes ? interroge un policier. - Oui, c'est vrai que c’est plutôt les adolescents, à partir de 13-14 ans, admet le suspect. Mais ça peut aussi être les jeunes hommes. »
Cette fois, le prêtre ne peut échapper à la mise en examen, pas plus qu'au procès, où les magistrats pointent des atteintes sexuelles fort ténues, mais renforcées par des tentatives d'embrasser l'enfant sur la bouche. « Cependant, écriront-ils dans le jugement, en avril 2013, ces faits sont intervenus dans un contexte de grande confiance accordée à un prêtre, non seulement par l'enfant lui-même, mais également par ses parents qui, en tant que catholiques pratiquants, pensaient qu'il pouvait aider leur fils face aux difficultés qu'il rencontrait. » La circonstance aggravante est retenue : le curé a abusé de l'autorité liée à sa fonction. Il est condamné à six mois de prison avec sursis, cinq ans d'interdiction d'exercer « une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs », avec inscription automatique dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.
Eternelle indulgence...
Les prêtres français ne sont pas plus pédophiles que les autres, mais ils ont un petit avantage : l'éternelle indulgence de leurs supérieurs. La hiérarchie parisienne ne s'alarme pas outre mesure de cette condamnation. Conformément à la culture « maison », elle traite l'âme égarée avec doigté et délicatesse. Le prêtre est simplement mis au vert dans un monastère, avant d'être expédié vers le Maroc pour ce que l'on présente hypocritement aux paroissiens comme un «congé sabbatique ». Une idée de l'archevêché, qui recommande le voyageur auprès des pères de Notre-Dame de l'Atlas. Pour fêter son départ, on organise même un pot, au cours duquel les croyants reconnaissants lui offrent... une petite caméra. D'ailleurs, on ne l'oublie pas. Le diocèse de Paris tente de lui trouver une piste d'atterrissage du côté de Bayonne, mais ça ne passe pas, un refus qui plonge l'évêque de Paris dans la plus grande perplexité : « Personne ne veut de lui, je ne comprends pas... »
Mais l'Eglise, bonne mère, n'a pas dit son dernier mot. Après un an de purgatoire, le prêtre retrouve enfin le chemin de la capitale. Il hérite d'une « mission d'étude » et d'un poste d'aumônier adjoint à l'hôpital Saint-Joseph. Un brin risqué de placer un homme si fragile dans un lieu où fourmillent les proies potentielles ? Du côté de l'archevêché, on ne voit que le bon côté des hommes. Le prêtre, malgré le jugement, n'a-t-il pas tenté de renouer avec sa victime ? La famille a protesté, on a sermonné le prêtre, que demande le peuple ? Qu'il soit mis à l'écart de l'Eglise ? Vous n'y pensez pas ! Le manque de vocations pèse-t-il à ce point sur les effectifs ?
Au rythme où progresse sa réinsertion, certains craignent que le curé mis en cause ne revienne un jour dans la paroisse. Ceux qui y sont hostiles comptent sur l'intervention de Rome, où un vent nouveau souffle depuis l'arrivée du pape François. « Nous avons adopté le principe que le bien d'un enfant ou d'un adulte vulnérable doit être prioritaire dès qu'une décision doit être prise », ont déclaré les huit experts nommés par le Vatican pour tourner la page des années d'ignorance et de déni. « Il ne devra y avoir aucune tolérance pour ceux qui commettent les crimes, aussi bien que pour ceux qui se montrent négligents, a appuyé Sean O'Malley, le cardinal de Boston, membre de la commission, allant jusqu'à prôner la mise en place de procédures claires pour que les coupables, à tous les niveaux, « répondent de leurs actes ».
Fini le refus d'écouter et l'étouffoir à soupçons ? Depuis 2004, ce sont près de 700 prêtres coupables d'abus sexuels, dans le monde, qui ont été « réduits à l'état laïc » par le Saint-Siège, mais l'Eglise parisienne peine apparemment à s'adapter à ce nouveau siècle. Ceux qui réclament justice ne sont pourtant pas manipulés par la main du diable. A les entendre, ils défendent même leur Eglise !
FRÉDÉRIC PLOQUIN
Source : Marianne, 16 mai 2014
Note du CIPPAD : * patronyme tronqué