Il nous faut d’abord revenir sur la réponse de Mgr Pontier à la lettre de victimes de dérives sectaires dans l’Eglise. Elle est très habile : on reconnaît un expert dans l’art d’affirmer une chose tout en la niant. Il reconnaît que la lettre veut « dénoncer des pratiques relevant de dérives sectaires à l’intérieur même d’institutions d’Eglise ». Mais il entortille le problème pour en parler : « A plusieurs reprises dans le passé, nous avons alerté les fidèles mais aussi les familles sur le danger de certains groupes qui ne nous paraissaient pas promouvoir un comportement juste par rapport à l’Évangile. Nous avons interpellé des responsables pour leur faire part de nos interrogations. Bien souvent alors, nous n’avons reçu de la part de tous ceux à qui nous nous adressions que méfiance et silence. Je peux vous assurer que ce n’est pas un réconfort de savoir que nos remarques d’alors étaient justifiées. » Nous déduisons donc de ce discours alambiqué qui démontre surtout le peu de cas que ces communautés font de l’épiscopat, qu’il y a bien des dérives sectaires dans les groupes que mentionne l’Appel de Lourdes : « Béatitudes, Famille monastique de Bethléem, Légion du Christ, Regnum Christi, Fraternité Eucharistein, Emmanuel et Fraternité de Jésus, Sœurs mariales d’Israël et de St Jean, Ancien collaborateur du père Labaky, Memores Domini (Communion et Libération), Communauté de Nazareth, Opus Dei, Points-Cœur, Communautés Saint-Jean, Fraternité diocésaine de Saint-Jean-de-Malte. » D’ailleurs, comment ne se serait-il pas insurgé contre une dénonciation de communautés et de groupes avalisés par l’Eglise catholique, si ces accusations étaient fausses ? Ce serait cautionner des dénonciations calomnieuses. Prenons cette "reconnaissance" de dérives sectaires comme un pas dans l’attitude de l’épiscopat : le mot d’ordre jusqu’à présent était de garder un complet silence en faisant le dos rond pour laisser passer l’orage quand l’épiscopat était mis devant l’évidence soit par des lettres, soit par les médias. Cela reste le cas pour les victimes qui demandent justice depuis plus de dix ans. Donc, cette vague reconnaissance de l’existence de dérives est loin de prendre en compte la réalité. Pour cela, il faudrait une prise en charge des victimes, de leur légitime besoin de justice et de réparation. Cette étape n’est même pas envisagée, sans oublier des sanctions contre les communautés déviantes.
Que propose Mgr Pontier ?
Ecouter les victimes, voilà ce que propose Mgr Pontier. Cela suppose des personnes en état de parler ; les victimes de la manipulation mentale, celles qui se sont suicidées, celles qui ont parlé à des représentants de l’Eglise et qui s’en mordent les doigts, etc. sont donc mises d’emblée de côté ; sans oublier celles qui sont ruinées, dans une situation de grande précarité et ne peuvent même pas recourir à un avocat pour ouvrir un procès civil ou canonique.
La solution proposée montre que l’Eglise a baissé les bras devant les communautés déviantes et ne songe nullement à user de procédures canoniques à leur égard. Une solution serait pourtant très simple : leur faire respecter le Code de Droit Canonique en ce qui concerne les mœurs et les finances. Comme chacun sait ce sont deux secteurs privilégiés où les dérives sectaires agissent sans foi ni loi. Quand un groupe ou une communauté a une reconnaissance ecclésiale, il est du devoir de celui qui l’a approuvé d’être vigilant pour le respect du Code de Droit canonique. Cela, les victimes n’en ont souvent pas conscience : ce serait aux évêques à s’en préoccuper. Mais les dérives sont camouflées, si ce n’est approuvées. Chacun y trouve son avantage... Aussi quand Mgr Pontier écrit : « L’Évangile du Christ que nous voulons servir est une école de liberté spirituelle et celui qui ne sert pas cette liberté ne peut se réclamer de l’Évangile », il ne saurait être crédible.
Spolier des personnes au mépris du Code de Droit Canonique — sans parler du droit civil —, avec le soutien d’un évêque, est-ce la liberté évangélique ? Comment Mgr Pontier définirait-il la liberté des ex-communautaires sans retraite faute de cotisations sociales versées pour eux ? Quand à la liberté de mœurs, n’en parlons pas. Il faudrait aussi évoquer toutes les libertés prises par les associations reconnues par un évêque, et qui ne respectent pas le droit de l’Eglise concernant les associations de fidèles. Ce sont des libertés qui ne méritent pas ce nom. Comment, dans ces conditions, Mgr Pontier peut-il dire que les pratiques dénoncées dans l’Appel de Lourdes « nous heurtent et nous choquent » ? Quant à invoquer la Justice pénale, c’est une bonne façon de se dégager et de dégager les évêques de leur responsabilité.
La nouvelle équipe des Nouvelles Croyances et des Dérives sectaires
Les membres choisis pour s’occuper des Nouvelles Croyances et des Dérives Sectaires dans l’Eglise sont d’ailleurs emblématiques.
Mgr Dubost accueille dans son diocèse la Mariapolis qui célèbre les soixante ans des Focolari. Comment peut-il cautionner une résurgence de l’utopie saint-simonienne du XIXe siècle comme une chance pour son Eglise locale ?
M. Le Vallois cautionne l’initiative de Mgr Lebrun qui met en première ligne de sa pastorale la formation à l’ennéagramme... dont Gurdjieff est l’initiateur.
Mgr Guéneley lorsqu’il était exorciste, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, a collaboré avec Bernard Dubois, exorciste sauvage et « gourou » de plus d’une victime : comment espérer que les normes liturgiques concernant les ruptures de liens et exorcismes soient rappelées publiquement par l’épiscopat ? Il est plus facile d’écouter la fragilité des victimes que d’agir auprès de confrères...
Quant à sœur Chantal-Marie Sorlin, son commentaire de l’Appel de Lourdes est plus que surprenant. Il est fort dommage, dit-elle, que Le Figaro par exemple ait déformé l’enjeu de la lettre écrite par Mgr Pontier en se focalisant sur les groupes impliqués par les signataires de l’appel. Ce dernier était adressé aux Évêques personnellement et n’a pas été publié. Parler d’une liste de communautéés déviantes est donc une ineptie, dans laquelle le Président de la CEF ne s’est précisément pas embourbé. Comment Soeur Chantal-Marie Sorlin peut-elle dire cela alors que les auteurs de la lettre ont parlé au nom des victimes de dérives sectaires au sein de ces communautés ? Mais s’occuper de ces communautés déviantes est manifestement pour la pastorale des dérives sectaires un chemin à éviter ! Il vaut mieux se contenter d’informer les victimes sur leurs droits au plan civil et canonique... sans leur dire que c’est l’évêque qui est grand chef de l’officialité du diocèse et peut y faire la pluie et le beau temps. L’expérience a déjà montré aux victimes qu’il ne faut rien attendre de ce côté... Le mot d’ordre de cette pastorale pourrait se résumer en quelques mots : laisser prospérer et même engraisser les déviances, et écouter les pauvres victimes ! Un individu isolé est un cas isolé qui ne risque pas de remettre en cause le système établi.
La presse nous a appris au mois de juillet dernier que « la première assemblée générale élective de la communauté [des Béatitudes] restructurée vient d’être fixée à l’été 2015 ». Comment les victimes peuvent-elles accepter que la communauté ne soit pas mise en cause pour faire la vérité sur les dérives d’emprise mentale, de mœurs, de finances, qu’il ne faudrait pas trop vite dire appartenir au passé ?
Une formation aux dérives sectaires ?
La formation aux dérives sectaires donnée à Lyon, est assez surprenante quand on lit ce que Cécile Hoyau en rapporte dans La Croix. Elle se réduit en effet aux dérives existant dans des communautés et laisse donc de côté les dérives qui se produisent dans des associations de fidèles qui ne forment pas une communauté de vie. Et pourtant les dérives sectaires y sont nombreuses, qu’on songe à l’Agapè, à la Maison d’Abba...
On peut remarquer aussi que pour les membres d’associations communautaires ou non communautaires, il y a un point commun : les dérives financières qui sont un trait commun à toutes les dérives sectaires. Pourquoi cet aspect n’est-il pas mentionné par sœur Chantal Sorlin dans les critères qu’elle a donnés au cours de la formation ?
Le non respect du droit canonique est aussi quasi omniprésent. Pourquoi ne pas agir à ce niveau pour éradiquer des dérives à leur racine ? Une association qui exerce un apostolat dans un diocèse autre que celui de l’évêque qui l’a reconnue n’agit pas conformément au droit. Mais quelle officialité contestera une action illégale de l’évêque ? Loïc Bernard, avocat ecclésiastique à Lyon soulève la question : « Comme avocats ecclésiastiques, nous travaillons près des officialités interdiocésaines, mais si l’affaire touche directement le diocèse, il pourrait être embarrassant de déposer un recours auprès de l’évêque du lieu... Vers qui se tourner ? » Aucune réponse n’est donnée à cette question pourtant pertinente car les évêques peuvent arrêter une plainte reçue, en commençant d’abord par ne pas répondre aux courriers qui mettent en cause ce qui se passe dans leur diocèse. Les lettres qui le prouvent ne se comptent plus. Qu’espérer d’une officialité quand l’évêque veut camoufler ? On voit mal un official contredire ouvertement son évêque... et même le mettre en cause. Comme Thomas, on demande à voir pour croire.
En conclusion, tout cela ressemble à des pétitions de principe pour faire croire que l’Eglise est - enfin ! - attentive aux victimes alors qu’elle continue de protéger les dérives et les évêques qui les couvrent. Ne serait-ce pas un enfumage bien structuré et bien médiatisé pour faire oublier, derrière ce rideau de fumée, toutes les victimes aux dossiers trop brûlants, rejetées par l’Eglise depuis plus de dix ans ?
Par Christian Terras
Source : Golias, 9 avril 2014,
http://golias-news.fr/article6017.html